Notre
monde est devenu un amoncellement de systèmes complexes -
politiques, économiques, industriels, financiers - qui s'imbriquent
les uns dans les autres et impactent très négativement d'autres
systèmes complexes - climatiques, sociaux, culturels, biologiques,
écologiques – indispensables à notre survie en tant qu'espèce
humaine.
Les rétroactions potentielles nous sont connues :
catastrophes naturelles, récession économique, crashs financiers,
déflation, chômage massif, effondrement systémique, pollution,
guerres civiles, famines, révolutions, terrorisme, dictatures... Notre
monde si complexe, d'un degré de complexité jamais atteint dans
l'histoire de l'humanité - ce qui le rend extrêmement efficace mais
le fragilise tout autant -, est à bout de souffle. Il ne survivrait
pas à une nouvelle crise financière mondiale.
Notre civilisation,
comme tant d'autres avant elle dans l'histoire, se heurte à la loi
des rendements décroissants : après avoir produit le meilleur
d'elle-même, en permettant au monde moderne d'émerger et de se
développer, elle décline inexorablement depuis son apogée à la
fin du XXe siècle. Ce déclin se traduit, notamment, par son
incapacité à régler ses problèmes financiers autrement que par un
endettement croissant des États, et par là-même par un
asservissement accru des collectivités et des individus qui les
composent.
Cet endettement collectif est la contrepartie de la
richesse qui s'accumule presque mécaniquement entre les mains d'une
minorité d'entités privées ; au prix d'un creusement des
inégalités, d'une destruction massive de l'environnement et de la
biodiversité, et d'un épuisement alarmant des ressources
naturelles : eau, terres arables, énergies fossiles, métaux
rares...
Rien,
dans le modèle de développement et de croissance de notre
civilisation occidentale, qui a donné naissance à la société
industrielle et au capitalisme financier, n'est durable ou soutenable
désormais, au delà d'une échéance plus ou moins brève : en
raison de la contrainte écologique, qui limite les ressources
naturelles auxquelles nous avons potentiellement accès. Les lois de
la physique et de la thermodynamique s'appliquent aussi aux marchés.
Le premier rapport Meadows du Club de Rome, sur les limites de la
croissance, le pointait déjà du doigt en 1972, peu avant que
n'éclate la crise pétrolière de 1973, et que ne soit
définitivement entérinée la fin des Trente Glorieuses - avec les
premières vagues de licenciements économiques, le début du
creusement des dettes publiques, et la mise en œuvre des premières
politiques d'austérité dans les pays développés.
Cette première
édition du rapport Meadows situait l'effondrement inévitable de
notre système économique à l'horizon d'un siècle, et la fin de la
croissance cinquante ans plus tôt, c'est à dire en 2022. Nous y
sommes presque. La seconde édition, parue en 1992, confirmait ces
projections sur la base de modèles plus élaborés, et constatait
qu'après deux décennies d'inertie, l'humanité avait dépassé les
capacités de la planète à supporter la croissance de son système
économique.
L'empreinte écologique de l'humanité, calculée en
fonction des besoins de chacun pour survivre en terme d'alimentation,
d'eau, d'énergie, d'habitat et de biodiversité, est aujourd'hui
d'une terre et demi. Nous consommons plus de ressources naturelles
que la terre ne peut en produire dans une période de temps donnée,
et produisons plus de déchets qu'elle n'en peut absorber ou digérer.
Cette empreinte écologique est trois à quatre fois supérieure à
la moyenne dans les pays riches, où vivent 15 % de la population
mondiale. Elle a doublé depuis 1960, et devrait encore doubler d'ici
à 2050 si nous ne faisons rien pour l'empêcher. Sa progression
promet de devenir exponentielle, alors que de plus en plus de pays
émergents, dont la population explose, tendent vers un niveau de vie
comparable à celui des pays riches.
La
dernière révision du rapport Meadows, parue en 2013, se montrait
nettement plus pessimiste que les précédentes, en dépit des
nombreux progrès constatés sur les plans technologique et
institutionnel pour faire face à la crise écologique depuis le
sommet de 1992.
La situation s'est dramatiquement aggravée
en l'espace de quelques décennies, en terme d'impact des activités
humaines sur l'environnement, d'accentuations de certaines
rétroactions climatiques comme la fonte des glaces polaires, de
destruction de la biodiversité, mais aussi de fragilisation du
système financier - dont les crises sont devenues systémiques -, de
précarisation des populations, de tensions sociales et politiques,
de violence, d'intolérance et d'injustice.
Il suffirait d'un
battement d'aile de papillon à l'autre bout du monde pour que tout
s'écroule. Que les marchés financiers paniquent soudain – en
raison d'un simple relèvement des taux directeurs par les banques
centrales (c'est à dire du prix de l'argent qu'empruntent les
investisseurs pour spéculer) ; du déclenchement d'un nouveau
conflit ; de l'éclatement d'une bulle immobilière à l'autre
bout de la planète ; d'un accident nucléaire ou d'une
catastrophe climatique – pour que la bulle des marchés d'actions
et d'obligations, qui n'a cessé de gonfler ces dix dernières
années, éclate subitement, précipitant le monde entier dans une
profonde récession.
Toutes les conditions sont d'ores et déjà
réunies pour que ce cataclysme se produise. Une nouvelle crise
financière systémique, face à laquelle les gouvernements et les
banques centrales seraient cette fois-ci impuissants – et dont la
question n'est pas tant de savoir si elle se produira mais quand -,
ne serait que le premier stade d'un effondrement civilisationnel
beaucoup plus profond. Lui succéderait immanquablement une crise
économique, sociale et politique sans précédent.
Dans
le scénario le plus noir, la plupart des réseaux de distribution –
d'énergie, de produits de première nécessité, de communication,
etc. - s'écrouleraient progressivement. Les distributeurs de billets
seraient bientôt vides ; et les étals des magasins aussi, après avoir
été pillés ou bien dévalisés. Les moyens de paiement
électroniques ne fonctionneraient plus. Les banques feraient
faillite, et la masse monétaire fondrait. Tous les avoirs en monnaie
scripturale, inscrits sur des comptes bancaires dans des registres
informatiques, disparaîtraient ou ne seraient plus accessibles.
Les
circuits d'approvisionnement à flux tendus, de produits de première
nécessité ou de consommation courante, seraient progressivement
rompus. Les coupures d'électricité deviendraient monnaie courante,
avant que ne survienne un black-out total. L'eau potable ne coulerait
plus des robinets.
Les services publics ne seraient plus assurés, ni
la sécurité. La production industrielle s'effondrerait. Les
raffineries de pétrole fermeraient. Il n'y aurait plus d'essence à
la pompe. Le cœur des centrales nucléaires ne serait plus refroidi.
Les trains ne circuleraient plus. La monnaie fiduciaire perdrait
l'essentiel de sa valeur, qu'aucune banque centrale ne pourrait plus
garantir.
Le chaos s'installerait, en particulier dans les villes, où
des bandes errantes se disputeraient l'accès aux ressources vitales.
Une guérilla urbaine larvée se déclencherait. Il n'y aurait
bientôt plus d'eau potable, de nourriture, d'électricité ou de
fioul pour se chauffer ; plus d'hygiène ni de médicaments. Des
épidémies se propageraient. L'humanité s'orienterait vers un
effondrement global de sa population au niveau mondial, comme nombre
d'espèces en ont connu un avant elle ces dernières décennies.
C'est le scénario apocalyptique qu'anticipent les
« survivalistes » : celui que nos générations ont
la responsabilité de rendre le plus improbable possible, à défaut
de pouvoir le rendre totalement impossible.
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