AVANT-PROPOS

Le projet de ce blog, qui se dessine petit à petit dans mon esprit, est de servir de support à l'écriture publique d'un livre. Les lecteurs de Cryptorev auront donc la primauté de son contenu, si tant est que mon projet aboutisse et que ce livre soit un jour publié. Ils auront également tout loisir d'apporter leur contribution à sa rédaction au fil de l'eau, via leurs commentaires, remarques, suggestions, etc., dont je ne manquerai pas de tenir compte.

Je vois plusieurs avantages à cette démarche. L'un d'eux tient à la confrontation permanente, induite par une écriture publique, aux avis et critiques des lecteurs du blog, tout au long du processus d'écriture. Un autre avantage tient aux contraintes du blog, qui vont m'astreindre à une publication régulière. Le format du blog m'impose également ses règles. Je ne peux pas publier des billets de plus de trois ou quatre feuillets, au risque de perdre de nombreux lecteurs en route, surtout avec le parti pris de ne mettre aucun intertitre, et de laisser le texte couler de source. Chacun de mes billets aura vocation à offrir, en respectant cette limite de calibrage, un éclairage ou un angle de vue particulier, et devra se suffire à lui-même, comme ce serait le cas pour un article fouillé.

La somme de mes billets, que je vais m'efforcer de publier dans l'ordre du sommaire - qui restera évolutif jusqu'à l'écriture du point final -, devra s'articuler pour constituer un récit certes non linéaire, fait de multiples touches impressionnistes, mais offrant une mise en perspective globale. Cette contrainte d'écriture me paraît importante à respecter. Le sujet abordé étant particulièrement ardu et complexe à mettre en perspective, il y va de la lisibilité du livre, de la qualité littéraire de son contenu (si tant est que j'aie des ambitions littéraires), de son accessibilité, et du bon niveau de compréhension que peut en avoir le lecteur, en particulier le moins initié.

Le livre dont j'entreprends la rédaction sur ce blog porte sur la révolution que constitue l'invention, en 2009, de la crypto-monnaie bitcoin. Il s'agit bien sûr avant tout d'une révolution informatique et monétaire, ce qui peut ne pas paraître très mobilisateur de prime abord, ni très sexy. L'informatique, c'est bien quand ça marche. Et la monnaie quand on en a plein les poches. Il y a pourtant des signaux faibles qui ne trompent pas, sur la portée de cette révolution : à commencer par la date de naissance du bitcoin, monnaie libre et indépendante créée ex-nihilo sur Internet au lendemain de la crise financière de 2008, et devenue depuis une valeur refuge que certains comparent à l'or.

A bien des égards, le bitcoin est un invention paradoxale. Personne ne sait vraiment qui est l'auteur du livre blanc qui signe son acte de naissance (sinon la National Security Agency aux Etats-Unis, nous dit Wired, j'y reviendrai probablement sur ce blog). C'est une monnaie virtuelle, mais elle a toutes les caractéristiques de l'argent liquide, que l'on peut échanger sans se connaître et hors de tout contrôle ; ou encore, en tant que monnaie conçue dès l'origine comme déflationniste, elle partage certaines caractéristiques de l'or - dont la rareté, et la cherté de l'extraction, font qu'on lui attribue une certaine valeur conventionnelle, et en font une valeur refuge en période de crise.

A défaut d'être en capacité de renverser seul l'ordre monétaire international, largement dominé par le dollar américain, le bitcoin a déjà fait des milliers de petits (autant de monnaies alternatives indépendantes ou dérivées du bitcoin sont apparues ces dernières années), qui s'appuient sur sa technologie sous-jacente de blockchain. S'agissant d'une technologie open source (le code informatique du système Bitcoin est disponible et peut-être utilisé, modifié ou adapté à volonté), elle promet d'essaimer très largement, et peut devenir l'instrument d'un tel renversement. J'en veux pour preuve la volonté des BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine) de créer une crypto-monnaie commune pour leurs échanges internationaux, comme alternative au dollar.

Les implications géopolitiques de telles évolutions ne sont certainement pas à prendre à la légère. L'équilibre du monde peut en être changé. La manière dont les Etats, les institutions bancaires et financières et les grandes corporations vont tenter ou tentent déjà de s'approprier les technologies de crypto-monnaie et de blockchain, et de les réglementer ou de reprendre le contrôle de leur développement, aura toute son importance. Le véritable enjeu d'une innovation comme le bitcoin, cependant, est ailleurs.

Comme dans toute révolution, il s'agit d'un enjeu de souveraineté : de souveraineté monétaire, en l'occurrence. Je m'étais arrêté un temps sur une idée de sous-titre pour mon livre, qui se veut surtout être un essai : "Monnaie, chiffre et libertés". Je le conserverai au moins comme pense-bête, tout au long de mon travail de rédaction, de manière à ne pas perdre le fil du lien étroit que permet d'établir le concept du bitcoin : entre la question de la monnaie, celle du chiffre (terme qui désigne la cryptographie en France), et celle de la protection voire de l'extension de nos libertés, individuelles et collectives. J'y vois un enjeu global d'émancipation.

Le juriste américain Lawrence Lessig a eu cette expression à propos du nouvel environnement numériquement augmenté qui est le nôtre : "The code is law". C'était le titre d'un de ses essais paru en 1999. Le code informatique fait en effet de plus en plus loi. Ce sera systématiquement le cas dans tous les contrats auto-certifiés qui s'exécuteront sur des blockchains. Je ne suis pas convaincu que ce soit souhaitable en toute circonstance. Je paraphraserai néanmoins Lessig, en affirmant qu'avec l'avènement du bitcoin et de sa blockchain, la nature du code informatique devient éminemment politique.

Philippe Astor, le 13/09/2017

PS : Etant journaliste, ce que je raconte ici repose sur des faits vérifiés. Je m'appuie sur la veille permanente que j'effectue depuis deux ans sur le secteur de la blockchain et des crypto-monnaies ; sur la documentation amassée entre temps pour la rédaction de ce livre (rapports, livres, études, whitepapers, etc.), que je n'ai pas encore toute compulsée ; ainsi que sur un gros travail d'enquête et de vérification ; et sur de permanents efforts de compréhension et de restitution du fruit de mes investigations. L'enquête journalistique, cependant, n'est que la toile de fond de l'ouvrage que je souhaite écrire. S'il a vocation à être factuel, et didactique sur les enjeux soulevés, il se veut avant tout un ouvrage d'analyse, de prospective et d'anticipation qui, au delà du travail journalistique, engage ma subjectivité.

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