vendredi 15 septembre 2017

Brève histoire d'une crypto-monnaie

Personne ne sait vraiment qui est Satoshi Nakamoto, l'inventeur de la crypto-monnaie bitcoin. Le 31 octobre 2008, un livre blanc signé de ce nom est publié sur une liste de distribution électronique consacrée à la cryptographie, qui décrit le système Bitcoin. Quelques jours plus tard, le projet est inscrit sur la plateforme Sourceforge.net, qui répertorie de nombreux projets de développement de logiciels libres. Le nom de domaine Bitcoin.org avait déjà été enregistré anonymement au mois d'août précédent, sur le site Anonymousspeech.com. Le 3 janvier 2009, le tout premier bloc de transactions en bitcoins, appelé « bloc générique » (ou « genesis block » en anglais), est inscrit dans le code source du logiciel. Ce bloc générique ne peut être modifié, au risque d'être rejeté par tout le réseau, et sert de référence pour sa blockchain. Il ne contient qu'une seule transaction portant sur la génération de 50 bitcoins : les tout premiers créés sur le réseau.

La première version du logiciel Bitcoin est publiée le jour même sur Sourceforge.net. Elle est si aboutie que des doutes sont émis sur le fait qu'elle ait pu être développée par une seule personne. Elle intègre un système de génération de bitcoins qui limite à 21 millions le nombre d'unités pouvant être créées. Cette règle vise à éviter tout phénomène d'inflation. Hal Finney, un développeur américain et cryptographe activiste, qui décédera de la maladie de Charcot en 2014, s'empare instantanément de cette première mouture de Bitcoin. « Je pense que j’étais la première personne, après Satoshi, à utiliser ce logiciel », confiera t-il plus tard. Le 12 janvier 2009, à 3 heures 20 du matin, il est le destinataire du premier transfert de fonds jamais effectué en bitcoins sur Internet, inscrit dans le bloc 170 de la blockchain. Satoshi Nakamoto, avec qui il correspond par e-mail pour lui signaler quelques bugs, lui envoie dix bitcoins pour tester le système. Il ne valent rien à l'époque.


Quelques mois plus tard, un contributeur du forum de discussion Bitcointalk propose, sous le pseudonyme de NewLibertyStandard, une première méthode d'évaluation du taux de change du bitcoin en dollars. En se basant sur une équation tenant compte de la quantité d'électricité consommée par un ordinateur pour le générer, NewLibertyStandard estime alors la valeur d'un bitcoin à moins de 0,001 dollar : à peine un dixième de centime. Au mois d'octobre 2009, le fondateur du forum BitcoinTalk, Martti Malmi, un jeune développeur finlandais qui s'exprime sous le pseudo de Sirius, lui cède 5050 bitcoins pour 5,02 dollars payés via Paypal. Seul un ordinateur exécutant le logiciel Bitcoin peut créer des bitcoins. Il n'est pas encore possible d'en acheter sur Internet, et encore moins d'en vendre ou de les utiliser pour payer.

La première transaction réalisée en bitcoins pour acheter un bien de consommation courante a lieu de manière un peu rocambolesque quelques semaines plus tard. Le 22 mai 2010, Lazlo Hanyecz, un architecte logiciel trentenaire basé en Floride, auteur du premier patch permettant d'exécuter le logiciel Bitcoin sur ordinateur Macintosh, propose de payer 10 000 bitcoins la livraison de deux pizzas sur le forum BitcoinTalk. « Vous pouvez faire les pizzas vous-même et me les livrer, ou bien les commander pour moi. Ce que je veux, c'est simplement me faire livrer à manger en échange de bitcoins », explique t-il dans son message. Quelques jours plus tard, un californien appelle un livreur de pizzas local pour réaliser la transaction. A l'époque, la valeur d'un bitcoin se négocie entre trois et quatre dixièmes de centime. C'est cher payé la pizza (15 à 20 dollars l'unité), mais ces 10 000 bitcoins n'ont rien coûté à Lazlo Hanyecz, qui en a amassé plus de 70 000.

Les 70 000 bitcoins détenus par Lazlo Hanyecz ont été créés par le système Bitcoin pour le rétribuer de sa contribution, en tant que mineur, à la validation et à l'horodatage de nouveaux blocs de transactions dans la blockchain de la crypto-monnaie, en mettant la puissance de calcul de ses ordinateurs à la disposition du réseau. Ce processus de validation, qu'on appelle le « minage », requiert d'effectuer de lourds calculs cryptographiques. C'est lui qui permet de garantir la confiance dans tout le système, sans qu'aucun tiers ou autorité, banque ou État, n'ait à intervenir. L'émission de nouveaux bitcoins est une incitation à y participer. « Miner » est le seul moyen de s'en procurer à l'origine. La première plateforme d'échange de bitcoins, Bitcoin Market, qui permet à tout le monde d'en vendre et d'en acheter, ne se lance qu'en février 2010. De nombreuses plateformes d'échange verront le jour à sa suite. Mais il faudra toujours « miner » pour générer de nouveaux bitcoins.

Avec le lancement de Mt. Gox en juillet 2010, qui deviendra très vite la principale plateforme d'échange de bitcoins sur Internet - avant d'être victime d'un piratage qui lui sera fatal -, la nouvelle monnaie virtuelle bitcoin rentre dans une période de forte volatilité. Entre la mi-juillet et fin décembre 2010, sa valeur d'échange passe de 0,08 à 0,30 dollar. En février 2011, le bitcoin atteint la parité avec le dollar, qu'il dépasse nettement au mois d'avril. C'est le moment que choisit Lazlo Hanyecz pour vendre les bitcoins qui lui restent, ce qui va lui rapporter autour de 4000 dollars. Le jeune développeur n'a pas été fin spéculateur, ou n'a pas cherché à l'être. La valeur du bitcoin commence alors à attirer l'attention des médias, ce qui crée les conditions d'une bulle spéculative. Elle grimpe à 28 dollars en juin 2011. Il y a alors près de 7 millions de bitcoins en circulation, pour une capitalisation totale supérieure à 190 millions de dollars.

Une correction s'opère après ce premier pic historique, et le bitcoin connaît son premier krach. Au cours des mois qui suivent, sa valeur périclite, jusqu'à se situer en deçà des cinq dollars fin décembre 2011. Il y a alors 8 millions de bitcoins en circulation, pour une capitalisation de 38 millions de dollars ; cinq fois moins que six mois auparavant. Suite à la mini-panique qui s'en suit, les investisseurs délaissent cette valeur par trop volatile pendant une année, au cours de laquelle elle évolue néanmoins à la hausse. Fin 2012, un bitcoin vaut 13,5 dollars, en gros deux fois moins qu'en juin 2011. Il y a 10,5 millions de bitcoins en circulation, pour une capitalisation totale de 142,5 millions de dollars.

Les choses s'emballent au deuxième trimestre 2013. Le 9 avril, la valeur du bitcoin, qui s'inscrit nettement à la hausse depuis le début de l'année, atteint soudain un nouveau pic à 230 dollars. Elle est très vite corrigée, mais fluctue entre 90 et 150 dollars jusqu'à la fin du mois d'octobre 2013, avant de franchir de nouveau la barre des 200 dollars. Les 12 millions de bitcoins en circulation pèsent alors quelques 2,4 milliards de dollars. En l'espace de dix mois, la valeur du bitcoin a été multiplié par quinze, et sa capitalisation a littéralement explosé. Fin octobre 2013, elle représente 0,025 % des réserves de change mondiales des États en or et devises des banques centrales, qui s’élèvent alors à environ 11 000 milliards de dollars. Pas de quoi déstabiliser le système monétaire international. Mais la démonstration est faite qu'il est possible de créer des monnaies libres et indépendantes sur Internet.

Dans les jours qui suivent, la bulle du système Bitcoin se met soudain à gonfler démesurément. La demande n'a jamais été aussi forte. Le 17 novembre 2013, la valeur d'échange de la devise virtuelle double en une seule journée et dépasse les 500 dollars. Le 19 novembre, son volume de transactions, pour un montant de 245 millions de dollars, est supérieur à celui de la Western Union Company. Le jour même, la Réserve fédérale américaine (FED) et le département américain de la Justice émettent des avis favorables à la nouvelle crypto-monnaie, la qualifiant de monnaie « légitime ». Début décembre, la valorisation du bitcoin atteint un nouveau pic historique à 1147,25 dollars, et une capitalisation de quelques 11 milliards de dollars : c'est l'équivalent de 1 % des réserves de change mondiales, et de 3 % des réserves de change en dollars. L'espace de quelques heures, le bitcoin peut s'échanger contre une once d'or cotée (31 grammes). La totalité des bitcoins en circulation permettrait d'acheter neuf tonnes d'or. Si Lazlo Hanyecz avait conservé ses 10 000 bitcoins, dont il s'est servi pour payer la livraison de deux pizzas trois ans et demi plus tôt, leur valeur aurait été de 12,5 millions de dollars au plus fort de la bulle de 2013. Elle se serait situé autour de 45 millions de dollars en septembre 2017.

Depuis sa création presque ex-nihilo en 2009, la progression exponentielle de la valeur du bitcoin a fait quelques heureux millionnaires et milliardaires, comme son inventeur Satoshi Nakamoto, le premier à avoir miné des bitcoins, qui en détiendrait plus d'un million. Au printemps 2015, le bitcoin stagnait autour de 200 dollars sur les plateformes de change, après la longue correction de son envolée de novembre 2013. Deux ans plus tard, en juin 2017, il franchissait pour la première fois la barre des 3000 dollars. Toujours sujet à de fortes fluctuations, il plafonnait en dessous de 2000 dollars un mois après, mais frôlait les 5000 dollars début septembre. Son retour sur investissement sur cinq ans était alors supérieur à 40 000 %. Le bitcoin pèsera peut-être 10 000 dollars fin 2018, et plus de 100 000 en 2025. Ou bien verra t-il sa bulle éclater d'ici là ? Personne ne saurait le dire.

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